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Les Incoterms® 2020
La révision tant attendue des Incoterms® 2020 est sortie le 10 septembre, après plusieurs mois d’anticipation, pendant lesquels plusieurs théories ont circulé sur internet au sujet des changements qui allaient voir le jour. Leur publication a coïncidé avec le centième anniversaire de l’organisme émetteur.
Les exportateurs, manufacturiers, importateurs et distributeurs Canadiens et Français sont impactés par ces changements. Pour les néophytes, les règles Incoterms® constituent un des éléments clés du commerce mondial de biens. Publiés par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) à Paris et mis à jour généralement tous les dix ans, ces règles déterminent les responsabilités du vendeur et de l’acheteur pour les tâches, coûts et risques liés à la livraison des biens. Ils sont utilisés à travers le monde, facilitant grandement le commerce international et constituant ainsi un langage universel pour les entreprises.
Lors de leur création en 1936, ils étaient applicables seulement pour les livraisons par voies maritimes et fluviales et essentiellement utilisés en Europe mais leur application est devenue universelle en 1969, suite à l’aval des Nations Unies cette année-là.
Ce sont des abréviations que les entreprises incorporent dans leurs listes de prix, offres, soumissions, bons de commande, factures et autres documents commerciaux reliés, en général attachées au prix. Nous avions treize Incoterms® jusqu’à la mise à jour de 2010, qui les a ramenés à onze. Les abréviations en vigueur aujourd’hui sont les suivantes:
FAS: Free Alongside Ship
FOB: Free on Board
CFR: Cost and Freight
et CIF: Cost Insurance and Freight, pour le transport maritime et fluvial traditionnel non-conteneurisé;
EXW: Ex Works
FCA: Free Carrier
CPT: Carriage Paid To
CIP: Carriage and Insurance Paid To
DAT: Delivered At Terminal
DAP: Delivered At Place
et DDP: Delivered Duty Paid, pour les transports maritimes conteneurisés et les autres modes de transport, incluant le transport multimodal et intermodal.
Plusieurs théories ont circulé sur notre océan numérique d’informations parfois difficiles à vérifier, à l’effet qu’il fallait s’attendre à une révolution des Incoterms® et annonçant des changements majeurs: l’abolition d’EXW, FAS et DDP, le partage d’FCA en deux termes différents, l’introduction d’un nouveau terme ‘’CNI’’ et j’en passe. La CCI a maintenu le suspense en communiquant énormément, en phase avec notre époque de surconsommation d’informations, envoyant articles et alertes, tenant wébinaires et autres baladodiffusions, sans révéler la teneur des changements à venir. Lorsque la version 2020 est enfin sortie le 10 Septembre, il a fallu se rendre à l’évidence : pas de révolution ! Bien entendu, la CCI met en avant le fait que la nouvelle version contient de nombreuses améliorations, clarifications et explications qui les rendent plus faciles à utiliser. Et c’est vrai que le nouveau livre de la version 2020 est élégant, a de beaux pictogrammes et de jolies couleurs, des explications claires, des paragraphes légèrement remaniés dans lesquels on navigue aisément; en bref, il est agréable au toucher. Mais il ne faut pas s’attendre à quoi que ce soit de révolutionnaire ni à de grands changements de fond. En 2020, nous aurons encore onze Incoterms® : les quatre bons vieux termes ‘’maritimes’’ qui n’ont pas changé depuis 1936 (!) et qu’on ne devrait pas utiliser pour les transports maritimes par conteneur, quoique beaucoup de gens les utilisent encore ainsi, à tort; et sept termes pour tous les modes de transport. DAT a disparu, ce qui est dommage car on commençait à peine à s’y habituer. Il a été introduit en 2010, et je sais par expérience que pas mal d’entreprises ne connaissent pas DAT, ou très peu. Le seul nouveau terme introduit en 2020 s’appelle ‘’DPU’’ pour ‘’Delivered at Place Unloaded’’, un terme étrange qui place la responsabilité et le coût du déchargement à destination sur les épaules du vendeur !
Plusieurs changements concernant l’émission du connaissement maritime, les déclarations de sécurité et les obligations d’assurances sont trop techniques pour les détailler dans cet article.
Qu’est-ce qui ne va pas changer en 2020 ? CFR, CIP, CPT et CIP ont toujours cette particularité défiant toute logique et dangereuse pour les non-avertis, du partage des risques qui ne correspond pas au partage des coûts. FCA veut toujours dire deux choses différentes et seulement deux Incoterms® ont des obligations explicites d’assurance cargo, à savoir CIF et CIP. Ceci peut prêter à confusion car les deux parties au contrat, le vendeur et l’acheteur devraient toujours se poser la question des assurances cargo quel que soit l’Incoterm®, en fonction de leurs risques respectifs et aussi dépendant des conditions de paiement. Ce qui ne change pas non plus en 2020, c’est que le livre des Incoterms® n’est pas gratuit : on doit toujours l’acheter à la CCI mais il y a une bonne nouvelle à ce sujet, c’est qu’ils sont plus abordables : alors que l’édition 2010 se vendait 93 euros, la version 2020 se vend 50 euros !
La morale de l’histoire : beaucoup de bruit pour peu de changements et pas d’améliorations marquantes, à mon humble avis. Le pire, c’est que j’ai entendu sur un wébinaire de la CCI qu’on allait nous préparer des Incoterms® ‘’intelligents’’ pour 2030 ! Manifestement, c’est dans l’air du temps ! Mais pourquoi devoir attendre encore dix ans pour ça !
Soyons sérieux : même si les changements de 2020 ne sont pas majeurs, c’est le moment de prendre un peu de recul et de revoir les Incoterms® dans leur ensemble. Je remarque beaucoup d’idées fausses sur ce sujet lors de mes formations et interventions en entreprise. Il arrive parfois que même des professionnels chevronnés ne les connaissent pas si bien que ça, certains pensent, à tort, que les Incoterms® déterminent le transfert de propriété ; les changements de 2010 ne sont pas toujours bien connus et la disparité entre le transfert des risques et le transfert des coûts est souvent mal comprise. C’est donc un bon moment pour se mettre à jour, de façon à les utiliser à notre avantage, comme outil de compétitivité.
D’autant plus que les exportateurs canadiens font face à un défi original à ce sujet : les Etats-Unis, qui sont de loin notre premier client, ont tendance à ne pas travailler avec les Incoterms® internationaux. Ils utilisent souvent leurs propres termes de référence provenant du ‘’Uniform Commercial Code’’ ou tout est FOB. Les entreprises Canadiennes doivent donc s’adapter et faire référence aux ‘’UCC’’ pour leur commerce transfrontalier, et utiliser les Incoterms® internationaux pour leur commerce avec le reste du monde. Toute une entreprise !
Christian Sivière, Solimpex ©Octobre 2019